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La poupée russe au Louvre (4)

Il franchit le porche de pierre blanche sans prêter la moindre attention au planton de service. Ses talons commencèrent à claquer et à résonner sur le pavé humide et glissant. Il s'arrêta un instant dans la cour intérieure et fit un tour sur lui même. Des portes vitrées toutes identiques sur chaque côté de l'ancienne place d'armes. Il plissa les yeux et aperçut vers le fond une flèche et se résolut à la suivre. La porte vitrée fermée derrière lui, il se retrouva dans une sorte de hall poussiéreux et mal éclairé. "Pas mieux lotis que le culture" pensa-t-il. Il entreprit de gravir l'escalier en bois élimé que plus personne ne criait depuis bien longtemps. Les marches creusées crissaient sous son poids. Il arriva bientôt au 1er étage dans un couloir dallé de carrés plastiques blancs et noirs. Il passa devant quelques portes grises en déchiffrant les étiquettes nominatives collées dessus. À la quatrième, il s'arrêta. "Commissaire Simon". Il frappa et après un bref instant un "Entrez" sonore et rocailleux surgit du silence ouateux. Il poussa la porte et découvrit un bureau ni grand ni petit, éclairé par une grande croisée mal jointée, des murs lambrissés jusqu'à mis-hauteur d'un bois peint de la même couleur uniforme que les portes et tapissés sur le haut d'un papier blanc cassé flétri et auréole par endroits. Quelques posters écornés célébrant la gloire des forces armées se disputaient l'espace avec des affichages de circulaires et de notes manuscrites. Sur la gauche un porte manteau et un meuble bas métallique aux portes coulissantes décalées et entre-ouvertes comme laissant s'écouler un trop-plein de paperasse indigeste. À droite le lourd bureau du commissaire croulant sous les chemises et les dossiers à boucles de ceinture. Le commissaire se leva et pria l'arrivant de s'asseoir sur l'une des deux chaises au siège plastique rembourré à la manière des selles de moto. "M. le Conservateur ! Merci d'être venu ! Je suis navré de ce qui s'est produit cette nuit au Musée. Sachez que nous ferons tout notre possible pour élucider cette affaire au plus tôt. Nos moyens sont ceux dont nous disposons mais nous nous engageons à tout mettre en œuvre pour résoudre la situation. Nous avons interrogé l'interpelée ce matin dés notre arrivée ici et pour l'instant, rien. Elle ne dit rien. Elle s'entête dans le silence. Nous avons procédé aux tests de routine d'alcoolémie et de stupéfiants. Rien à signaler. Nous l'avons placée en cellule isolée pour une garde à vue. Nous attendons la visite d'un psychiatre pour une évaluation de son équilibre mental. Je vous ai préparé les formulaires de dépôt de plainte. Je vous écoute pour les remplir". Le conservateur remercia poliment le policier, commença à décliner son identité. Il mit la main à la poche pour prendre son portefeuille et sortir ses papiers. Il sentit alors sous sa main le tissu fuyant du foulard coloré. Son regard se figea, se perdit un instant dans le vague puis avec un léger trouble dans la voix s'adressa au Commissaire. "Est-ce que je pourrais la voir ?" Le Commissaire n'en crut pas ses oreilles. "Pardon ?" "Oui, je sais. Ça peut paraître un peu fou. Mais je voudrais la voir, lui parler, avant quoi que ce soit. Avant le psychiatre, avant l'avocat, avant la plainte." "Ce n'est pas dans la procédure ça, M. Le Conservateur. Ce que vous me demandez est franchement impossible. Non seulement ça fausse l'enquête mais en plus je risque ma place pour faute professionnelle grave !" "Je vous demande juste 10 minutes, M. Le Commissaire. 10 minutes pour me donner une chance de comprendre" Le Commissaire resta perplexe face à cette insistance qui lui paraissait des plus déraisonnables. Mais après tout, la suspecte semblait plutôt inoffensive et vu son silence de pierre tombale, bien chanceux serait le conservateur s'il parvenait à lui arracher un mot. "Juste 10 minutes" répéta le conservateur. "D'accord. 10 minutes. Pas une de plus. Ici dans mon bureau et je reste à la porte."


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